Aromathérapie en soins palliatifs : 20 ans d'études cliniques
Photo (c) Siegfried Poepperl @ unsplash.com
En 2024, des équipes de chercheurs néerlandais, portugais et suisses publient chacune une revue systématique qui recense les applications de l’aromathérapie chez les patients en soins palliatifs. L’aromathérapie s’avère être une thérapie complémentaire prometteuse qui peut jouer un rôle dans l’atténuation des symptômes et l’amélioration de la qualité de vie.
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Ceci est un article pour les lecteur·rice·s « Formé·e ou avec expérience ». Cet article n’est pas destiné à se substituer à un avis médical professionnel, un diagnostic ou un traitement. Lisez les Conditions d’utilisation. Si vous débutez avec des huiles essentielles, lisez les Précautions d’emploi.
L'aromathérapie en tant qu'intervention primaire
Dans leur revue systématique, publiée dans le Journal of Palliative Medicine, une équipe autour de Sara Gonçalves de l’Université de Trás-os-Montes e Alto Douro, Vila Real (Portugal) recense 156 études cliniques sur la période 2004-2024, dont huit ont été retenues pour l’analyse, totalisant 1162 participants (Gonçalves et al., 2024).
Gonçalves se concentre sur les recherches disponibles dans lesquelles l’aromathérapie constitue l’intervention principale, selon trois voies d’administration : l’inhalation, l’application cutanée (sept des études retenues) et la diffusion. La plupart des études portent sur des patients chez qui un cancer a été diagnostiqué.
Gonçalves, S., Marques, P., & Matos, R. S. (2024). Exploring Aromatherapy as a Complementary Approach in Palliative Care: A Systematic Review. Journal of Palliative Medicine, 27(9), 1247–1266. https://doi.org/10.1089/jpm.2024.0019
Symptômes et qualité de vie
Les chercheurs ont d’abord évalué la sécurité et l’efficacité de l’aromathérapie en tant qu’intervention complémentaire ciblant les symptômes et la qualité de vie des patients recevant des soins palliatifs. Ils ont ensuite identifié les symptômes spécifiques les plus couramment ciblés par l’aromathérapie et les preuves démontrant l’efficacité des interventions.
Gonçalves et ses collègues concluent que les interventions en aromathérapie montrent une efficacité significative dans la réduction de la douleur, de l’anxiété, des nausées et dans l’amélioration de la qualité du sommeil.
Gonçalves et ses collègues concluent que les interventions en aromathérapie montrent une efficacité significative dans la réduction de la douleur, de l’anxiété, des nausées et dans l’amélioration de la qualité du sommeil.
Interventions personnalisées
Les chercheurs notent une hétérogénéité considérable entre les études et plaident en faveur de méthodologies standardisées et de recherches à grande échelle. Néanmoins, ils rédigent un certain nombre de conclusions à partir des huit études.
Ils soulignent notamment l’importance des interventions personnalisées, par exemple dans le choix des huiles essentielles et du protocol de massage. Un essai contrôlé randomisé réalisé en 2007 dans quatre centres de cancérologie et un hospice au Royaume-Uni étudie les effets du massage et de l’aromathérapie sur l’anxiété et la dépression chez 288 patients atteints de cancer. Les thérapeutes ont mis en place des traitements basés sur les besoins individuels des patients dans le cadre d’un protocole établi. Le massage associé à l’aromathérapie montre une amélioration de l’anxiété clinique et/ou de la dépression jusqu’à deux semaines après l’intervention (Wilkinson et al., 2007).
Ce constat met en évidence un aspect fondamental de l’aromathérapie et du massage thérapeutique. Les deux interventions doivent être adaptées à la personne qui reçoit les soins. C’est parfaitement possible dans un cadre préétabli, comme c’est le cas dans l’étude de Wilkinson. Le rôle de l’expert·e est de construire de tels cadres ; ensuite, l’application pourra être mise à la portée des prestataires de soins de santé par le biais de formations.
Le rôle de l’expert·e est de construire de tels cadres ; ensuite, l’application pourra être mise à la portée des prestataires de soins de santé par le biais de formations.
Les interventions non pharmacologiques (non médicamenteuses)
La question dans quelle mesure les soins complémentaires sont à la portée du soignant est abordée dans une autre revue systématique publiée en 2024 dans Palliative Care & Social Practice. Suzan van Veen et ses collègues de la Hanzehogeschool Groningen (Pays-Bas) ont recensé 2385 études publiées jusqu’en 2022, dont ils en ont retenues 22 pour l’analyse (van Veen et al., 2024).
Les chercheurs sont à la recherche d’interventions non pharmacologiques (ou interventions non médicamenteuse, INM) réalisables dans le domaine des soins infirmiers, dans le contexte de la gestion de la douleur chez les patients en soins palliatifs. En effet, certaines thérapies requièrent un certain niveau d’expertise, ce qui rend leur application par les professionnel·les de santé peu évidente, comme par exemple l’acupuncture ou les suppléments alimentaires à base de de plantes médicinales.
van Veen classe ces INM en fonction de leurs mécanismes d’action :
(1) les interventions corps-esprit (mind-body),
(2) les traitements biologiques (y compris les herbes et les huiles essentielles),
(3) les pratiques « manipulatives » et axées sur le corps (comme le massage thérapeutique), et
(4) les thérapies énergétiques (comme le Reiki).
L’étude montre que la réalité virtuelle (RV, le voyage avec Google Earth vers un lieu familier ou un endroit de rêve), le massage thérapeutique et l’art-thérapie peuvent compter sur le plus grand nombre de recherches. Il existe des preuves modérées et limitées pour la RV et le massage thérapeutique ; des preuves insuffisantes ne permettent pas d’appliquer l’art-thérapie dans la gestion de la douleur. van Veen conclut que les INM fondées sur des preuves, dans le domaine des soins infirmiers, ont un impact potentiel sur la douleur et donc sur la qualité de vie des patients en phase terminale. L’instruction ou la formation permettent aux professionnel·les de santé d’effectuer la plupart des interventions en toute sécurité.
Van Veen, S., Drenth, H., Hobbelen, H., Finnema, E., Teunissen, S., & De Graaf, E. (2024). Non‑pharmacological interventions feasible in the nursing scope of practice for pain relief in palliative care patients: a systematic review. Palliative Care and Social Practice, 18. https://doi.org/10.1177/26323524231222496
Les infirmier·ères au volant
Le rôle crucial que jouent les infirmier·ères dans l’introduction et la mise en œuvre des interventions complémentaires ne se limite pas aux soins palliatifs. Tant dans la pratique quotidienne que dans les essais cliniques, les infirmier·ères se montrent de vrais leaders dans les hôpitaux et d’autres environnements cliniques.
Une fois les portes ouvertes, certains hôpitaux emploient une « Madame ou un Monsieur aromathérapie » qui, à l’instar des kinésithérapeutes ou diététicien·nes, intervient auprès des patients. D’autres établissements choisissent de former tous·tes les professionnel·les paramédicaux à l’aromathérapie, dont le soin est appliqué individuellement sur prescription médicale (voir, par exemple, le Service Hématologie Clinique du Centre Hospitalier Universitaire de Rennes, France).
Depuis une quinzaine d’années, les médecins et les soignants des hôpitaux français ajoutent des protocoles d’aromathérapie aux traitements conventionnels. Dans son article paru dans L’infirmière en mai 2024, Lahidely cite les CHU (Centre Hospitalier Universitaire) de Toulouse (voir cadre), Poitiers, Strasbourg, Nantes, Mulhouse et les Hôpitaux civils de Colmar (Lahidely, 2024). On peut rajouter l’Hôpital Le Corbusier à Firminy, qui a reçu une reconnaissance de la part de la Fondation Gattefossé lors du congrès Phyt’Arom en septembre dernier.
AromaSoins
AromaSoins est un groupe de travail pluridisciplinaire, créé en 2022 au CHU de Toulouse, qui réunit infirmier·ères, aides-soignants, pharmacien·nes, préparateur·rices, kinésithérapeutes, médecins et représentant·es de la direction des soins. Le CHU déploie l’aromathérapie pour l’anxiété, les nausées, les vomissements ou la douleur et pour éliminer les mauvaises odeurs, traiter l’insomnie, stimuler l’appétit et les soins de bouche. Au service des brûlés, un protocole a été développé depuis 2016 pour remédier à l’odeur désagréable des plaies, source d’anxiété, avec des huiles essentielles de lavande (Lavandula angustifolia), de Palmarosa (Cymbopogon martinii) et d’Encens (Boswellia carterii) (Ibid., Plaza et al., 2022).
L'aromathérapie au sein des services hospitaliers
La troisième revue systématique est publiée dans le Journal of Pain and Symptom Management. Jodie Freeman et ses collègues de l’Institute of Complementary and Integrative Medicine, Universität Bern, Berne (Suisse) ont examiné 1 261 études sur la musicothérapie, l’aromathérapie et la massothérapie entre 2010 et 2022 et en ont retenues 26 pour analyse ; quatre d’entre elles portent sur l’aromathérapie et la massothérapie (Freeman et al., 2024).
La musicothérapie et la massothérapie ont fait état de l’impact le plus important sur une série de paramètres, notamment la douleur et la qualité de vie, bien que des résultats mitigés aient également été rapportés.
Cette revue systématique ne permet pas de formuler de conclusions quant à l’efficacité de l’aromathérapie. Freeman inclut 4 études, dont l’étude Kreye qui était également incluse dans la première revue de Gonçalves citée en début de l’article. L’étude 2022 déploie de l’huile essentielle de Citron (Citrus limon, avec une analyse biochimique, mais sans mention du nom botanique) sur des tampons de coton (coton pads) chez 66 patients atteints de cancers avancés. L’intervention a permis de réduire les nausées et les vomissements (Kreye et al., 2022). Cependant, d’autres recherches sur la prévention des nausées font état de résultats contradictoires*.
Les trois autres études ont mesuré les paramètres physiologiques respectivement lors de l’exposition aux huiles essentielles de citron et de lavande ; les nausées, la douleur et l’humeur ; et le sommeil.
*Voir à ce sujet, l’étude Cinvarom (Chemotherapy Induced Nausea Vomiting and AROMatherapy) de 2021 évaluant l’effet de l’aromathérapie inhalée sur les nausées vomissements chimio induits (NCVI) chez des patients traités pour un cancer.
Freeman, J., Klingele, A., & Wolf, U. (2024). Effectiveness of music therapy, aromatherapy, and massage therapy on people in palliative care with end‑of‑life needs: A systematic review. Journal of Pain and Symptom Management. https://doi.org/10.1016/j.jpainsymman.2024.07.024
Conclusion
L’aromathérapie se révèle être une thérapie complémentaire prometteuse dans les soins palliatifs, montrant une efficacité significative dans la réduction de la douleur, de l’anxiété et dans l’amélioration de la qualité du sommeil.
L’hétérogénéité des méthodologies entre les essais cliniques évalués dans les trois revues systématiques est frappante. De plus, le nombre d’essais cliniques retenus par les chercheurs reste limité. Cela soulève la question de la pertinence de la restriction aux soins palliatifs dans les critères de sélection. D’un point de vue scientifique, cette approche peut sembler justifiée.
Si l’on se rappelle les mécanismes d’action de l’aromathérapie, il paraît légitime de conclure que les résultats de ces études, menées dans d’autres contextes cliniques, sont également pertinents en soins palliatifs.
Or, en ce qui concerne l’impact sur la symptômes et la qualité de vie, plusieurs autres revues systématiques et méta-analyses récentes apportent des indications précieuses sur l’efficacité des interventions en aromathérapie (*). Elles démontrent l’efficacité des huiles essentielles, notamment dans le traitement des troubles du sommeil, des états de stress, ainsi que de l’anxiété et de la dépression. Si l’on se rappelle les mécanismes d’action de l’aromathérapie, il paraît légitime de conclure que les résultats de ces études, menées dans d’autres contextes cliniques, sont également pertinents en soins palliatifs.
*Dans une revue systématique avec méta-analyse de 2019, Pi-Chu Lin et ses collègues de l’Université médicale de Taipei à Taïwan étudient les effets de l’aromathérapie sur la qualité du sommeil (Lin et al., 2019) [1].
Dans une revue systématique avec méta-analyse de 2022, Ghavami et ses collègues de l’Université des sciences médicales de Kermanshah en Iran, examinent les effets de la Lavande dans des conditions de stress (Ghavami et al, 2022) [2].
Dans une revue systématique avec méta-analyse de 2014, une équipe coréenne autour de Myung-Haeng Hur examine l’efficacité de l’aromathérapie dans la gestion du stress. Sur l’édition néerlandophone de Aroma Blog, je propose une lecture critique des études sur l’efficacité des extraits de plantes aromatiques comme remède anti-stress (Hur et al., 2014) [3].
Dans leur revue systématique avec méta-analyse de 2019, une équipe italienne étudie l’efficacité de la Lavande, par plusieurs voies d’administration, sur l’anxiété et les troubles liés à l’anxiété (Donelli et al., 2019) [4].
Firoozeei et ses collègues de l’Université des sciences médicales de Téhéran publient en 2021 une revue systématique avec méta-analyse sur l’efficacité de l’action antidépresseur de la Lavande (Lavandula angustifolia) (Firoozeei et al., 2021) [5].
Lisez aussi :
[1] Lisez sur Aroma Blog : Les effets de l’aromathérapie sur la qualité du sommeil (Aroma Plus*)
[2] Lisez, sur l’édition néerlandophone Aroma Blog : Lavendel essentiële olie bij stress (Aroma Plus*)
[3] Lisez, sur l’édition néerlandophone Aroma Blog : Stress? Aromatherapie! (Aroma Plus*)
[4] Lisez, sur l’édition néerlandophone Aroma Blog : Stress? Aromatherapie! (Aroma Plus*)
[5] Lisez, sur l’édition néerlandophone Aroma Blog : Lavendel bij depressie (Aroma Plus*)
*Aroma Plus est un service en ligne, disponible sous forme d’abonnement. L’abonnement est offert aux étudiant·es lors de l’inscription à une formation.
Photo (c) Siegfried Poepperl @ unsplash.com
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